Par Julie Joly, publié le 03/06/2009 16:20 - mis à jour le 03/06/2009 17:46
LES EXTRAITS DU LIVRE DU Dr SAUVEUR BOUKRIS :
Morts sur ordonnance
« Au Québec, le ministère de la Santé a évalué entre 10 et 15 % la proportion d’hospitalisations de personnes âgées liées aux médicaments. [...] Selon les experts, les médicaments seraient responsables, chaque année, de près de 100 000 morts aux États-Unis et de 10 000 au Royaume-Uni. Une étude américaine publiée en 1990 estimait que 5 à 20 % des admissions à l’hôpital étaient le résultat des effets indésirables des médicaments. Ce chiffre est probablement sous-estimé ! En 1998, une enquête du Journal of the American Medical Association révélait que 106 000 citoyens américains seraient morts après une utilisation de leurs médicaments dans des conditions normales, c’est-à-dire sans erreur de prescription, sans abus ni surdosage ! [...]
Au cours des vingt-cinq dernières années, 10 % des nouveaux médicaments mis sur le marché aux États-Unis ont fait l’objet de retrait du marché ou de forte mise en garde. [...] 20 millions de patients aux Etats-Unis ont pris au moins un des cinq médicaments retirés du marché en raison de risques graves entre septembre 1997 et septembre 1998. En France, on estime le nombre de décès dus aux médicaments entre 8 000 et 13 000 par an. Deux à trois fois plus que ceux dus aux accidents de la route ! On compte près de 130 000 hospitalisations par an dues à des médicaments.
Ce sont les plus de 65 ans qui paient le plus lourd tribut et qui sont les plus touchés par ces accidents thérapeutiques. Les effets néfastes des médicaments sont deux fois plus fréquents après 65 ans, et 10 à 20 % d’entre eux conduisent à des séjours à l’hôpital. Avec l’âge, le nombre de maladies augmente et la consommation de médicaments aussi. De plus, le risque d’interaction du fait d’association de médicaments s’accroît ! »
Des mélanges parfois explosifs
« On connaît tous des patients âgés prenant plus de 10, voire 15 ou 20 médicaments différents, l’un pour l’arthrose, l’autre pour l’hypertension artérielle, un troisième pour dormir, un autre pour la prostate, un cinquième pour le cholestérol, etc. Il est fréquent de constater que des personnes âgées avalent leur médicament pour dormir avec leurs anxiolytiques et prennent aussi des diurétiques pour leur hypertension artérielle. L’association de tous ces médicaments augmente le risque de chute par hypotension orthostatique : le malade se lève de son lit, sa tension artérielle chute brutalement, lui fait perdre l’équilibre et il tombe ! En particulier, l’association de tranquillisants et de diurétiques expose à ce risque de chute et de fracture ! [...]
Durant l’été 2003, resté célèbre en raison de la canicule qui a fait plus de 15 000 morts en France, l’assurance-maladie d’Ile-de-France a réalisé une étude chez les personnes âgées de plus de 75 ans qui présentaient une surmortalité de 70 %. Elle s’est intéressée à la consommation de médicaments durant les mois de juin, juillet et août 2003 de 584 099 personnes âgées de plus de 75 ans, dont 5 560 sont mortes pendant cette canicule. Plus d’un tiers des personnes âgées avaient pris un médicament psychotrope durant ces mois-là (neuroleptiques, antidépresseurs, tranquillisants ou hypnotiques). »
Des enfants et des adolescents traités avec des antidépresseurs
« Comme chez l’adulte, les effets indésirables des médicaments survenant chez les enfants sont une cause fréquente de maladie et d’hospitalisation. Une étude allemande réalisée en 2005 a mis en évidence des effets indésirables de médicaments chez 12 % des enfants hospitalisés. On estime que 2 % des admissions d’enfants dans les services d’urgences concernent un effet indésirable médicamenteux. [...] Ce sont les enfants de moins de 1 an qui sont les plus touchés. [...] En 2005, la Caisse d’assurance-maladie de l’Aude a publié une étude réalisée à partir des demandes de remboursement de médicaments prescrits durant l’année 2001. Plus de 1 000 prescriptions concernaient des AINS [NDLR : anti-inflammatoires non stéroïdiens] dont le choix n’était pas adapté à l’âge de l’enfant. 108 prescriptions contenaient de la niaprazine (Nopron), substance classée dans la famille des antihistaminiques commercialisés pour les troubles du sommeil de l’enfant. L’âge moyen des enfants était de 1,5 an alors que le Nopron est contre-indiqué chez les enfants de moins de 3 ans ! [...] Enfin, 570 prescriptions concernaient l’eucalyptol (Calyptol inhalant). Ce médicament est contre-indiqué chez les moins de 12 ans en raison du risque de convulsions. [...] En 2003, l’Agence anglaise du médicament a estimé que 30 000 à 40 000 enfants et adolescents ont été traités par des antidépresseurs alors qu’aucun de ces médicaments n’avait obtenu d’autorisation pour cette tranche de la population ! »
Des calmants hallucinogènes
« En 2007, en Australie, le système de pharmacovigilance a alerté les médecins sur les troubles neuropsychiatriques provoqués par le zolpidem (Stilnox), de la famille des hypnotiques. Les troubles observés sont les hallucinations (104 cas) et les amnésies (62 cas). Mais le plus grave et le plus inquiétant, c’est la survenue de somnambulisme avec des comportements étranges ou inappropriés. [...] Une patiente a été observée en train de manger devant son réfrigérateur ouvert... alors qu’elle dormait. Elle a grossi de 23 kilos en sept mois. Un patient s’est réveillé avec un pinceau dans la main : il venait de peindre la porte d’entrée en dormant ! Enfin deux autres cas ont été signalés : des patients ont conduit leur véhicule alors qu’ils dormaient ! »
Les effets secondaires peuvent être ravageurs
« Pratiquement toutes les classes thérapeutiques peuvent induire des effets secondaires graves, voire mortels, surtout lorsqu’ils surviennent chez des personnes âgées ou fragiles. Les anti-inflammatoires utiles dans les poussées d’arthrose peuvent provoquer des hémorragies digestives ou des ulcères gastro-duodénaux. Les antalgiques aussi facilement prescrits ou consommés que le paracétamol (Doliprane, Efferalgan, Dafalgan, etc.) peuvent induire des hépatites graves, dont certaines sont fulminantes, voire mortelles. Les psychotropes, dont la France détient le record européen de consommation, sont responsables de 10 à 30 % des hospitalisations en urgence, surtout chez les personnes âgées. Les antibiotiques, dont là encore les Français sont les champions de la prescription, induisent des accidents cutanés de type allergique et, pour certains d’entre eux, des problèmes hématologiques ou rénaux. Il est essentiel de connaître les effets secondaires d’un médicament pour les dépister et prévenir les risques ! Il y a des effets indésirables fréquents mais bénins ; il y a des effets secondaires rares mais graves. [...] L’acné chez les adolescents est banale ; le traitement par l’isotrétinoïne (Roaccutane) des laboratoires Roche peut provoquer des troubles psychiques graves. En mars 2007, la FDA [NDLR : Food and Drug Administration, autorité sanitaire américaine] avait déjà signalé l’existence de troubles psychiques chez des patients prenant du Roaccutane ; entre 1982 et mai 2000, elle avait recensé 37 cas de suicide (24 pendant le traitement et 13 après), 110 hospitalisations pour dépression, idées suicidaires ou tentative de suicide et 284 cas de dépression sans hospitalisation ! »
Quand Le sevrage nuit à la santé
« En 2001, un médicament est mis sur le marché : le bupropion (Zyban). C’est une substance proche d’un psychostimulant amphétaminique. La dénomination commune internationale est l’amfébutamone, et cette molécule était autrefois commercialisée comme anorexigène coupe-faim amphétaminique sous le nom de Tenuate Dospan, de Moderatan, de Prefamone Chronules, médicaments retirés du marché en 1999 en raison du risque d’hypertension artérielle pulmonaire et de risques cardiaques. Aux Etats-Unis, l’amfébutamone est commercialisée depuis 1997 pour le sevrage tabagique. En France, son autorisation de mise sur le marché n’a été accordée qu’en 2001 sous réserve d’une surveillance destinée à poursuivre l’évaluation du potentiel de pharmacovigilance. Ce médicament a une efficacité modeste, mais son succès dépend de la posologie :
plus on augmente la dose du bupropion, plus le taux de réussite de sevrage tabagique s’accroît. En revanche, les effets secondaires ne sont pas mineurs : sur 1 237 cas d’effets secondaires rapportés au centre de pharmacovigilance d’Australie, on compte 427 cas de troubles psychiques (anxiété, dépression, agitation) et 406 cas de troubles neurologiques (tremblements, convulsions, céphalées). On a décrit des risques accrus de cauchemars. En dehors de ces risques psychiques, il existe aussi des réactions allergiques graves qui surviennent dix à vingt jours après le début du traitement : réaction d’urticaire, d’œdème, de démangeaisons. Enfin, des cas d’hypertension artérielle ont été rapportés. »
Des dangers du pamplemousse associé à un médicament
« L’efficacité d’un médicament peut être altérée lorsqu’il est associé à des aliments qui augmentent ses effets secondaires. L’exemple le plus typique est le jus de pamplemousse ! L’absorption intestinale de certains médicaments est régulée par la présence d’une molécule chimique appelée cytochrome P450. Certaines substances contenues dans le pamplemousse [...] augmentent l’absorption intestinale des médicaments. Les conséquences sont une majoration de leurs effets secondaires équivalant à un surdosage ! Les médicaments à risque sont la simvastatine (Lodales et Zocor) utilisée pour faire baisser le taux de cholestérol dans le sang et, dans une moindre mesure, l’atorvastatine (Tahor). Un jus de pamplemousse pris en même temps que la simvastatine peut multiplier par 15 l’absorption du médicament et provoquer des atteintes musculaires graves ! Des cas de rhabdomyolyses ont été décrits lors de l’association de statines avec le jus de pamplemousse. De même, la prise simultanée de jus de pamplemousse et de traitements immunosuppresseurs préconisés contre le rejet de greffes risque d’endommager le rein ! »
Des remèdes pires que les maux
« Catherine, 38 ans, vient consulter pour perdre du poids et en particulier quelques centimètres au niveau de la taille et des hanches. Je l’examine et, en effet, son indice de masse corporelle (IMC) et son périmètre abdominal sont élevés. Je lui prescris Acomplia, un nouveau médicament indiqué contre l’obésité. Quelques jours après, elle est en dépression ! Elle m’appelle et se plaint d’être fatiguée, de ne pas avoir la force de se lever, d’avoir les larmes faciles et d’être plus irritable. Elle ne se reconnaît plus et dit ne pas avoir d’énergie pour s’occuper de ses deux enfants. Je ne comprends pas ce qui se passe, d’autant que je connais bien cette patiente : Catherine P. est une personne tonique et dynamique, toujours en mouvement. Je lui demande de faire des analyses de sang pour vérifier qu’il n’existe pas d’anomalie particulière, et je ne trouve rien. Quelques jours plus tard, je fais le rapprochement avec le médicament prescrit et je l’appelle : "Madame, prenez-vous toujours de l’Acomplia ? - Oui, bien sûr. Je le prends tous les matins. - Alors, vous allez l’arrêter dès aujourd’hui ! - Mais pourquoi ? demande-t-elle, inquiète. - Je pense que c’est l’Acomplia qui a provoqué votre dépression !"
Quelques jours plus tard, après l’arrêt du médicament, elle retrouve son énergie et son dynamisme. Prendre un médicament pour maigrir et tomber en dépression, traiter une infection urinaire banale et avoir une tendinite du pied, avaler un tranquillisant et avoir des troubles de la mémoire, voilà des exemples concrets d’iatrogénie médicamenteuse. »
Beaucoup d’innovations n’en sont pas
« Le nombre de nouveaux médicaments mis sur le marché par chaque grande firme est passé de 12 entre 1990 et 1995 à 7 entre 1996 et 2000. Le nombre de médicaments anciens génériques est désormais plus important que celui des nouveaux. D’année en année, la source de médicaments nouveaux se tarit ! Sur 100 médicaments mis sur le marché, près de 80 % d’entre eux ne sont que des copies de produits déjà existants. [...] Le terme d’innovation est pourtant souvent utilisé par les laboratoires pharmaceutiques lors du lancement d’un nouveau produit. Nouveau, innovation, innovant, sont les mots employés par les publicités. De quoi s’agit-il ? D’une innovation commerciale, technologique ou d’un réel progrès thérapeutique ? [...]
L’industrie pharmaceutique, soucieuse de son image de modernité, plaque l’innovation à toutes les sauces afin de justifier le prix trop élevé des médicaments et de donner un aspect luisant à des médicaments qui n’apportent rien de neuf ! [...] La très grande majorité des "nouveaux médicaments" ne sont, en réalité, que des modifications de médicaments plus anciens ! On modifie un radical chimique, on tourne la même molécule et on obtient un médicament "nouveau", que l’on appelle le médicament "me too". [...] Les médicaments sont quasi identiques, ce sont des copies de molécules déjà existantes. Grâce à une forte promotion et des dépenses considérables en publicité, on tente de conquérir une part du marché. Plus le marché est lucratif et plus les laboratoires cherchent à s’engouffrer dans ce créneau porteur en présentant aux médecins prescripteurs des molécules prétendument nouvelles ou des médicaments prétendument supérieurs en efficacité ou en tolérance ! [...] Le laboratoire n’a pas à prouver que le "nouveau" médicament est plus efficace que ceux existant déjà mais qu’il est meilleur qu’un placebo. Autrement dit, les essais cliniques doivent prouver que le médicament utilisé a une meilleure efficacité qu’une pilule vide. »
Le traitement de la ménopause provoque l’incontinence
« Contrairement à une idée largement répandue selon laquelle le traitement hormonal substitutif de la ménopause aurait un effet bénéfique sur l’incontinence urinaire, il a été montré, au contraire, que ce trouble de la vessie serait un effet indésirable de ces traitements. A partir d’une analyse de données portant sur plus de 20 000 femmes réalisée en février 2005 (essai Women’s Health Initiative), il a été montré une augmentation de la fréquence des incontinences urinaires chez les femmes ménopausées sous traitement hormonal substitutif (association d’oestrogène et de progestérone) par rapport à un groupe placebo. Et, surprise, chez des femmes jusque-là sans histoire sur le plan vésical, la fréquence des incontinences urinaires survenues dans un délai d’un an a été de 16 % sous oestroprogestatif contre 9 % sous placebo. »
Sans ordonnance, mais pas sans risque !
« En France, depuis le 1er juillet 2008, la vente de certains médicaments est autorisée en accès libre au public. Les laboratoires ont fait pression pendant des années auprès des pouvoirs publics pour accéder à ce marché de près de 2 milliards d’euros et de 423 millions de boîtes vendues en 2007. [...] Les avantages pour les compagnies pharmaceutiques sont surtout financiers, car les prix des médicaments d’automédication sont libres (ce qui permet de réaliser des marges substantielles), et ces médicaments peuvent faire l’objet de communication auprès du grand public. [...] Pour que l’automédication soit efficace, il faut que les patients ne soient pas trop malades (ni trop fragiles). [...] Prenons l’exemple du mal de gorge. [...] Si le malade utilise des anti-inflammatoires comme l’ibuprofène, cela n’est pas sans risque. [Ce produit peut] altérer la fonction rénale et chez les patients cardiaques ou déshydratés, ou chez ceux prenant déjà des médicaments, l’insuffisance rénale peut être grave. »
Certains médicaments provoquent des crises de foie
« Le foie est l’organe du corps humain particulièrement visé par les médicaments car c’est souvent là que passent les métabolites. C’est la grande usine d’épuration des produits en général et des médicaments en particulier. De tous les cas d’hépatite aiguë, 10 % sont d’origine médicamenteuse. Chez les femmes de plus de 50 ans, ce chiffre atteint 40 %. [...] Le nombre de médicaments incriminés dans des cas d’hépatite approche le millier. Les spécialistes sont formels : devant une hépatite d’origine indéterminée, tout médicament doit être suspecté ! »
Y a-t-il un pilote dans l’avion ?
« La revue Prescrire, indépendante des laboratoires pharmaceutiques et riche de plus de 30 000 abonnés, pose directement la question : "L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé [Afssaps] est-elle avant tout au service des patients ou au service des firmes pharmaceutiques ?" Et pour illustrer ces propos, elle cite des exemples. A partir de quatre médicaments (Di-Antalvic, Agréal, Mediator et les coxibs), la rédaction de la revue Prescrire attaque l’Afssaps en lui reprochant sa lenteur excessive dans ses prises de position et son opacité. [...] Ainsi, le Di-Antalvic : ce médicament, très connu et largement prescrit [...], est un mélange de dextropropoxyphène et de paracétamol. [...] Il peut entraîner des troubles respiratoires et perturber le rythme cardiaque. En Suisse et en Suède, ce médicament a été retiré en raison du risque d’intoxication mortelle. Aux Etats-Unis, l’association de consommateurs Public Citizen a présenté à l’Agence américaine du médicament une pétition demandant le retrait des médicaments contenant du dextropropoxyphène au vu des données du réseau Drug Abuse Warning Network, qui a recensé 2 110 décès accidentels entre 1981 et 1990. En Angleterre et au pays de Galles, il est prévu que les autorisations de mise sur le marché des associations contenant du dextropropoxyphène soient retirées. En France, on a enregistré des décès mais le médicament n’est pas (encore) retiré ! Selon la Caisse nationale d’assurance-maladie, l’association dextropropoxyphène et paracétamol était au deuxième rang des médicaments les plus prescrits en 2006 avec environ 48 millions de boîtes. »
Les médecins téléguidés ?
« Toutes les données reçues [par les médecins] sur le médicament sont délivrées par la visite médicale, par la presse, par des congrès, par des experts universitaires. Au centre de ce dispositif se trouve l’industrie pharmaceutique ! [...] Les laboratoires financent les sources d’information et les moyens de la diffuser. Les dépenses de promotion réalisées par l’industrie pharmaceutique en France sont estimées à 12 ou 13 % du chiffre d’affaires, soit près de 3 milliards d’euros. La grande majorité de ce budget est consacrée à la visite médicale (75,8 %), puis vient la publicité (13,4 %), les congrès (8,6 %) et les échantillons (2,2 %). [...] La visite médicale est une véritable machine de guerre. Une enquête réalisée en 2007 sur 60 000 médecins généralistes montre que 20 % d’entre eux ont reçu plus de 40 visites dans le mois, 45 % de 11 à 40 visites et 32 % de 1 à 10 visites. Seuls 3,2 % des médecins interrogés n’ont reçu aucune visite dans le mois. On estime à 330 le nombre moyen de visites reçues chaque année par un médecin généraliste, soit 33 par mois environ, soit près de 2 par jour ! [Les visiteurs médicaux] étaient 9 000 durant l’année 1975 et sont passés à 17 500 en 1998 puis à 21 000 en 1999 pour atteindre 23 250 en 2005. [...] Aux Etats-Unis, dans l’affaire Vioxx, la commission de la Chambre des représentants, en analysant la stratégie commerciale du produit, a montré que le laboratoire avait donné des directives à son réseau de visite médicale pour minorer les risques cardio-vasculaires du médicament. »
Les experts sous influence...
« La question de l’impact des conflits d’intérêts est rarement abordée en France dans les milieux médicaux. De quoi s’agit-il ? De relations étroites et financières entre les professionnels de santé et l’industrie pharmaceutique. La question qui se pose est de savoir si les experts appelés par les autorités sanitaires ont des intérêts particuliers dans les firmes pharmaceutiques. A tous les échelons de l’élaboration du médicament, les relations entre experts et firmes pharmaceutiques sont très étroites, et ce qui les rapproche est sonnant et trébuchant !
[L’Afssaps] fait appel à des experts pour évaluer les médicaments. En 2005, elle a eu recours à 1 800 experts externes qui devaient déclarer les intérêts financiers qui les unissaient avec les firmes pharmaceutiques. Si l’on analyse le rapport des déclarations d’intérêt 2005, on observe que 135 experts (soit 12 %) n’ont jamais fait parvenir de déclarations d’intérêt ! 283 ont déclaré n’avoir aucun lien avec une entreprise du médicament. Un grand nombre d’experts sollicités et consultés sont liés à l’industrie pharmaceutique : 30 % ont plus de cinq contrats en cours avec les laboratoires et 10 % en sont actionnaires ! [...] En Angleterre, sur les 38 membres de la Commission nationale de pharmacovigilance du Royaume-Uni, 19 ont reçu des paiements directement de la part des firmes pharmaceutiques et, sur les 19 qui n’avaient pas d’intérêt personnel, 10 ont déclaré avoir reçu des fonds de façon indirecte. »
... et les autorités sous pression
« En 2002, les dix principales firmes pharmaceutiques ont investi 55,8millions de dollars dans leur travail de lobbying aux Etats-Unis. Au Congrès américain, on compte 675 lobbyistes qui travaillent pour les intérêts de l’industrie pharmaceutique, soit sept lobbyistes pour chaque sénateur ! Que se passe-t-il en Europe ? Plus de 3 000 groupes d’intérêts disposent d’un bureau permanent dans le centre de Bruxelles. En 1992, la Commission européenne estimait que plus de 10 000 lobbyistes professionnels étaient actifs à Bruxelles ou à Strasbourg ! Actuellement, 500 grandes entreprises ont leur propre représentation à Bruxelles. 130 bureaux d’avocats se sont spécialisés dans les affaires juridiques européennes. »
L’Europe du médicament est opaque
« Comme toutes les institutions européennes, l’Agence européenne du médicament [Emea] est tenue à la transparence de ses décisions. La réalité est bien différente : les documents publiés, les Epar (European public assessment reports), ne font jamais état des divergences d’opinion entre les experts. Par conséquent, si une minorité est en dé saccord avec la décision prise, les professionnels de la santé et les patients n’en savent rien ! Autre remarque : les décisions concernant les effets indésirables des médicaments, le retrait du marché, les interactions médicamenteuses sont émises sans justification et sans que les médecins ou les patients puissent avoir accès au moindre document ! Cette opacité des institutions, ce manque de transparence, le fait que les rapports sur la surveillance des effets indésirables des médicaments ne soient pas rendus publics, jettent un discrédit sur l’institution qui prend des décisions et entretiennent le doute sur la fiabilité des mesures prises. [...]
Par ailleurs, les agences du médicament, qu’elles soient nationales ou européenne, dépendent financièrement des firmes pharmaceutiques ; ce sont les industriels du médicament qui versent des redevances lors des demandes de mise sur le marché. Ces redevances représentent plus de 70 % du budget de ces agences. La part industrielle du budget de l’Emea est passée de 53 % en 1998 à 69,46 % en 2002 et à plus de 70 % aujourd’hui ! »
Les labos créent des malades imaginaires
« Les laboratoires mettent au point des médicaments pour combattre des maladies mais fabriquent aussi des troubles pour développer un marché pour leurs médicaments. Les laboratoires pharmaceutiques inventent des médicaments pour sauver des vies humaines et réduire les souffrances, mais ils ne se contentent pas de vendre à ceux qui en ont besoin. Grâce à des budgets publicitaires colossaux et des campagnes de promotion efficaces, les firmes pharmaceutiques jouent sur nos peurs : peur de la mort, de la maladie, de la déchéance physique ou psychique, pour vendre des médicaments ! Des troubles mineurs sont décrits comme des affections graves : la timidité, par exemple, devient ?un trouble d’anxiété sociale ?, la tension prémenstruelle devient ?un trouble dysphorique prémenstruel ?. Être un sujet à risque pouvant développer une pathologie devient une pathologie en soi ! Les stratégies marketing des firmes pharmaceutiques ciblent ainsi les bien-portants. [...]
Un exemple de ce dérapage des laboratoires est celui du ?marché du dysfonctionnement sexuel féminin ?. Il fallait y penser ! Après le succès du sildénafil (Viagra), lancé en 1998, où le laboratoire Pfizer a vendu, dans le monde, plus de 1,5 milliard de ces pilules bleues, ce même laboratoire a voulu multiplier par deux son ?marché ? en cherchant l’équivalent pour les femmes. »
Premiers consommateurs de médicaments sur la planète, les Français sont-ils plus malades que le reste de l’humanité ? Essais cliniques, effets secondaires, marketing : décryptage dans l’émission Les Médicamenteurs sur France 5, le mardi 9 juin à 20h35. Rediffusion le 21 juin à 21h30 et le 1er juillet à 0h20.
- Docteur Sauveur Boukris
Source : LEXPRESS.FR
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